J'ai relu toute la correspondance avant le diagnostic de ta maladie... C'était il y a un an à peu près.
Il y a un an pile poil, j'ai senti, en te voyant une fois, après une longue période où on ne s'était pas vus, que quelque chose n'allait pas.
Tu avais l'air plus grave que d'habitude, sans pour autant montrer que quoi ce soit.
Et à mes questions tu répondais par des calembours... Je t'ai tiré les vers du nez jusqu'à ce que tu m'aies dit ce que tu avais comme symptômes, et j'ai compris tout de suite.
Puis, les choses se sont accélérées, comme "il se doit" dans le monde médical... On t'a fait toute la batterie d'examens. Tu affrontais cela d'un oeil scientifique comme d'habitude. En prenant de la distance parfois... Distance qui m'a paru cette fois-ci trompeuse.
Le jour de l'examen suite auquel le diagnostic était tombé, tu m'as dit que tu emmenais avec toi un livre de Paul Valéry, dans l'attente des résultats.
Les résultats...
Nous étions ici, dans la maison de campagne. Il faisait un temps bizarre; des orages, du vent, et ça soufflait partout. C'était à certains moments apocalyptique.
J'étais dans la cuisine, je préparais des gâteaux pour la fête d'anniversaire de Lou, pour l'école. J'étais seule, dans la cuisine, après le déjeuner, heure à laquelle je finissais la vaisselle. Je pensais à toi et nous étions dans l'attente des résultats... Je pensais que là tu étais sans doute sorti de l'examen.
Tout d'un coup, quelque chose s'est emparé de moi ; je me suis assise sur le bord d'une chaise et j'ai pensé à toi fort, et j'ai crié silencieusement "Pittoto", et je pleurais. Comme si j'avais senti que la sentence était tombée...
Puis j'ai continué mon travail, les yeux et les oreilles rivées sur mon portable dans l'attente d'un sms.
Le soir, vers 18h, je reçois de ta part un mail où tu me demandais si je savais pourquoi les serveurs de certaines de tes adresses mail ne fonctionnaient pas ! J'étais tombée sur le c... Car je ne savais pas comment prendre ton message : a-t-il eu de bonnes ou de mauvaises nouvelles ?! En premier lieu on pouvait penser que t'avais eu de bonnes nouvelles vu ton courriel, sauf que le fait de ne pas donner d'info sur les résultats m'a mise la puce à l'oreille. Je t'ai répondu à ton courriel.
Lou était en train d'écouter Léo Ferré au salon (je suis souvent dans la cuisine à côté). Son disque préféré : Paname. A un moment donné, passe la chanson "Si tu t'en vas". En même temps, installée toujours dans la cuisine avec mon ordinateur, je fais un check up de mes mails. Et là, pendant que Léo chantait : Si tu t'en vas, je lis les nouvelles de tes résultats.
Je me souviens que pour moi il y a eu, comme on dit, un avant et un après.
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Nous rentrions à Toulouse ce soir-là après le dîner.
Le temps était toujours maussade, orageux.
Dans la voiture, s'installait un silence total. S. conduisait et moi j'étais dans mes pensées ; je ne sais plus si j'écoutais de la musique, ou j'étais ailleurs, totalement.
Je sais que le ciel était gris, les nuages sombres, et ça accompagnait l'annonce de ta maladie.
Comme si les éléments étaient réunis pour mettre en scène l'annonce, apocalyptique, criante, de ta maladie. Je l'ai senti comme ça et je l'ai vécu comme ça. C'était comme si on sonnait le glas. J'ai très bien compris ce qu'il allait se passer.
Ta sœur aussi.
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Il y a tellement de sens dans ta mort, ta vie, ton œuvre, que je ne peux pas me taire.
Je marche sur ce chemin où un jour tu m'écrivais, plein de désespoir, le tien en particulier "joyeux" : "un jour, tu écriras les mémoires de Victor-Emmanuel", qui était ton double.
Et pourtant, je sais bien que tu ne voulais pas mourir... Mais tu étais désespéré. Déçu, frappé, épuisé.
" Cette rumeur qui vient de là
Sous l'arc copain où je m'aveugle
Ces mains qui me font du flafla
Ces mains ruminantes qui meuglent
Cette rumeur me suit longtemps
Comme un mendiant sous l'anathème
Comme l'ombre qui perd son temps
À dessiner mon théorème
Et sur mon maquillage roux
S'en vient battre comme une porte
Cette rumeur qui va debout
Dans la rue aux musiques mortes
C'est fini la mer c'est fini
Sur la plage le sable bêle
Comme des moutons d'infini
Quand la mer bergère m'appelle" (La Mémoire et la mer, Léo Ferré).
Cette chanson-poème que j'aime en particulier, m'a accompagnée pendant toute la fin. Pour des raisons obscures. Comme elle l'est elle-même, mais qui a cette capacité de crier au fond de certains qui l'aiment sans comprendre pourquoi..
J'écoutais la version de Bernard Lavilliers qui l'a interprétée il y a quelques années. Elle est magnifique aussi.
Je te mets les deux :
A bientôt, Pittoto.
Bisous
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